« Nothing is more expensive than a missed opportunity »
Le succès, au-delà de toutes espérances, du Revival Day de samedi dernier a redonné un souffle nouveau au MTC/MTCJC pour reprendre en main les activités hippiques. Le public a répondu présent avec enthousiasme, les services offerts ont été peaufinés avec une touche d’innovation, l’ambiance respirait la relance, et tout semble fin prêt pour cette première journée 2025 tant attendue samedi. À en juger par la cérémonie traditionnelle du tirage au sort tenue mercredi soir dans les locaux du MTC, cette journée inaugurale s’annonce palpitante, avec en tête d’affiche la première classique de la saison, la Duchess Of York Cup. Elle remplira les boîtes de départ avec de nouvelles unités, certaines qualifiées de hautes pointures. On parle de Port Louis, mais aussi de Itsrainingwilliam et d’autres… Déjà, les turfistes en salivent d’impatience et l’engouement gagne aussi les amateurs de courses hippiques, mais aussi la population. C’est une bonne nouvelle ! Et les bonnes nouvelles, ça fait du bien !
Il y a en effet de quoi aiguiser les appétits après un intermède désastreux en matière d’intégrité hippique : trois années mouvementées sous la férule de People’s Turf. Avec ses nombreuses imperfections, sa philosophie de fonctionnement ne relevait pas de simples dérives, mais d’une tricherie organisée. Elle a néanmoins réussi à maintenir la flamme des courses et à assurer des journées, trop souvent, hélas, dévoyées au profit d’un système vicié, verrouillé de toutes parts par une GRA contrôlée et soumise et un gouvernement complice pour permettre d’alimenter les caisses du parti… Pas que… si l’on tient en compte ce qui ressort du défilé incessant à la FCC !!!
Avec l’arrivée d’un nouveau gouvernement et d’une GRA visiblement remise aux normes — du moins en apparence —, tout semblait réuni pour ouvrir un nouveau chapitre positif pour les courses mauriciennes. Malheureusement, sur le fond, le changement attendu en profondeur n’a pas totalement eu lieu. Et c’est bien là que le bât blesse.
Derrière le vernis festif, les tensions entre la GRA et le MTC demeurent. Les visages ont changé, mais les logiques anciennes persistent. L’arrivée à la GRA d’un nouveau président à l’appétit gargantuesque suscite la méfiance, malgré un conseil d’administration renforcé, déterminé à bien faire et qui montre déjà sa détermination à faire son travail dans les règles de l’art. Le retour de la CEO révoquée sous le précédent régime, perçue — avec son équipe déterminée — comme une lueur d’espoir, est la représentation d’un vrai renouveau… à condition qu’elle puisse en toute circonstance exercer en toute indépendance… Hélas, cela ne semble pas toujours être le cas !
En fait, les bruits de couloir en provenance de la Newton Tower sont loin d’être optimistes. Les pressions externes venant de l’Hôtel du gouvernement, de politiciens intéressés et de leurs réseaux mafieux pèsent de tout leur poids pour que chacun ait « so boute ». Certains, comme des carapates notoires, ont développé une expertise dans l’art de changer de camp selon la direction du vent, usant de leur influence financière ou électorale pour peser sur les décisions de l’institution pour un membre de la famille, un ami, etc. Comble de l’ironie et conséquence de la nouvelle donne, nombre d’ex-MTC, hostiles à la GRA, ont rejoint la GRA et la HRID dans le cadre des nouvelles structures hippiques. On craint déjà le pire pour ceux habitués à plus de latitude dans le secteur privé qui se retrouvent aujourd’hui dans les affres des obligations du secteur public, puisqu’ils sont désormais payés des fonds publics !
Au MTC, derrière la façade du « tout va très bien Madame la Marquise », les tensions internes sont palpables. Les spécialistes de la finance qui pilotent cette institution bicentenaire ont pour l’instant une vision très étroite, strictement financière, de leur industrie. Cette approche, bien qu’essentielle pour repartir sur des bases solides, se révèle parfois un frein au retour des heures de gloire de notre hippisme national. Il faut de l’audace, il faut prendre des risques : sans investissements, pas de dividendes. Il faut renforcer les équipes, redonner la liberté de parole aux employés, encourager leurs idées et propositions au lieu de s’en approprier certaines a posteriori ou de rejeter ses propres erreurs sur autrui. Il faut assumer… oui, car assumer c’est accepter, reconnaître, endosser sans fuir, ni renier ! C’est le moins que l’on puisse attendre de dirigeants responsables.
Il ne faut pas être frileux et irrités à la moindre critique, surtout face à une presse qui ne se laisse pas intimider. Il faut avoir le courage de ses opinions et ne pas se cacher dans le privé pour exprimer petitement — souvent avec leur mentor ministre qui demeure la pièce maîtresse du nouveau dispositif — des comparaisons entre torchons et serviettes dès que leurs manquements sont exposés au grand jour. Ils fuient toute responsabilité lorsqu’ils sont pris en défaut. De surcroît, ils tremblent de tous leurs membres lorsqu’un généreux donateur exprime sa frustration sur les questions de changement de rating. Certes, leurs responsabilités sont immenses dans les circonstances, mais cela ne saurait être un prétexte pour blâmer autrui au moindre faux pas. Assumer, c’est faire preuve d’intelligence et de grandeur d’âme. C’est le seul moyen de se faire respecter par ceux qui croient que financer les courses leur donnent des droits supérieurs aux autres.
Ce qui manque aujourd’hui à cette institution, c’est un véritable visionnaire : libre de toute influence amicale, familiale ou financière. Quelqu’un capable de voir grand, de rêver haut. Quelqu’un qui prenne exemple sur le modèle hongkongais, qui a su, dans les années 1980, se relever de la tricherie et de la déchéance pour devenir un modèle mondial. Pas étonnant que Karis Teetan, le plus grand jockey mauricien de tous les temps, ait quitté nos rives pour cette destination phare avec un succès retentissant. Il était cet enfant qui rêvait d’être consacré sur ses terres en regardant le Champ de Mars briller de mille feux. Mais ses ambitions étaient plus grandes que son terrain de jeu… qui est resté trop longtemps figé dans un passé glorieux qui s’est déjà couché comme le soleil toujours en mouvement.
Dans ce climat d’incertitude, les doutes sur la relance ne viennent pas des turfistes — eux y croient encore —, mais de l’absence manifeste d’une véritable volonté de refondation. Une impression tenace d’occasion une fois de plus manquée plane sur l’ensemble du paysage hippique. Et cela, aussi bien du côté des pouvoirs publics — où brille ironiquement l’ancien président du MTC — que du côté des instances régulatrices.
Pourtant, tout semblait réuni pour enfin se libérer des liens incestueux qui gangrènent l’hippisme mauricien. Mais force est de constater que l’influence naissante d’un financier — également propriétaire de chevaux — va peser lourd dans la balance. Celui-ci contribue financièrement au MTC sous forme de sponsorship pour les trois prochaines années. À tel point que son nom figure noir sur blanc sur le programme officiel en tant que “stable manager”, reléguant au second plan l’entraîneur, pourtant seul responsable légal reconnu par la GRA. Pourquoi cette exception qui va devenir au fil du temps pratique courante si la GRA et la HRID se murent dans le silence ? Certes, un autre entraînement profite aussi de ce passe-droit. Mais chacun sait que c’est le statut de patriarche du personnage qui lui vaut ce privilège. Une situation rocambolesque, certes, mais loin d’être inédite…
Tout cela rappelle à bien des égards les dérives du passé récent, d’un duo maléfique qui a mené les courses dans la situation où elle se trouve. On avait pourtant promis le contraire aux turfistes… Plus jamais ça !!!
Une relance véritable aurait exigé l’application stricte, courageuse et fidèle du rapport Parry. Ce rapport, fruit d’un travail rigoureux mené par trois experts britanniques indépendants, avait été commandé en pleine crise, après l’affaire scandaleuse de la course de Gemmayze Street, cheval ayant appartenu à ce financier/propriétaire qui bénéficie d’une exception de la HRID, et pris en grippe dans le rapport du Britannique, mais qui a obtenu de la cour un non-lieu dans cette affaire.
Parry proposait une refonte totale du modèle hippique mauricien : création d’une Mauritius Horseracing Authority (HRA) totalement indépendante, séparation nette des rôles entre organisateurs, régulateurs et surveillants, et mise en place d’un véritable rempart entre opérateurs et autorités.
Mais qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Un simple acronyme : la HRID. La Horse Racing Integrity Division, créée sous l’impulsion du gouvernement actuel et de son Attorney General — lui-même ancien cadre du MTC — n’est qu’une coquille administrative. Hébergée au sein de la GRA, sans autonomie réelle, sans pouvoir d’enquête véritablement indépendant, sans la moindre distance institutionnelle des pouvoirs et institutions publics. Un simulacre d’intégrité.
Ce glissement sémantique n’est pas anodin. Il marque le passage d’une ambition sincère à une récupération politique. Il montre que le gouvernement actuel a préféré recycler, sous une nouvelle façade, l’ancien modèle centralisé du régime MSM. Celui-là même qu’il dénonçait, accusant ses prédécesseurs d’avoir plongé l’hippisme dans l’opacité, les conflits d’intérêts et la perte de crédibilité.
Pourquoi ce renoncement ? Plusieurs hypothèses circulent, aucune ne flatte. Opportunisme politique, volonté de garder la main sur un secteur stratégique, crainte de perdre l’accès aux circuits financiers parallèles, ou tout simplement absence de courage réformateur. Rompre avec le passé exige une vision claire, mais aussi la volonté de s’affranchir des logiques partisanes de contrôle.
Le refus d’appliquer le rapport Parry n’est pas un simple oubli technique. C’est une occasion historique manquée. Et les effets sont déjà visibles : défiance persistante des turfistes, fuite des talents, effritement de la foi populaire dans les courses. Ce qui était un pilier culturel, économique et identitaire pourrait devenir un terrain désabusé, sans cap.
Pourtant, tout n’est pas perdu. Le rapport Parry reste d’actualité. Il est là, prêt à être appliqué. Il attend une volonté. Un sursaut. Une rupture. La reconstruction du turf mauricien est encore possible, mais elle exige un changement de logiciel politique. Il faut faire confiance à des institutions vraiment autonomes, à des professionnels compétents, à une vision à long terme débarrassée des arrière-pensées.
Car, comme le dit si bien l’adage : « Nothing is more expensive than a missed opportunity. » Et celle-ci, nous sommes en train de la laisser filer. Le prix à payer ne sera pas seulement institutionnel ou économique. Il sera historique. Car à travers le Champ de Mars, c’est toute une mémoire collective, des décennies de passion et de fierté populaire que nous risquons de trahir.
Trahir les courses, c’est trahir une part de ce que nous sommes.
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